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La dette publique française : risques, fausses solutions et perspectives
> Intervention du 8 décembre 2009 à l’Assemblée Nationale dans le cadre des « Rendez-vous parlementaires du contribuables » de Contribuables associés (contribuables.org)
(Repris sur CFO News)


1) Les risques

On connaît le rythme d’accélération de la dette publique, je n’y reviendrai pas, je parlerai ici des risques associés à la dette, des fausses solutions et des perspectives envisageables.

Je commencerai en évoquant deux risques, la plupart du temps négligés.

Le premier risque est le fait que les deux tiers de notre dette sont détenus par des non-résidents. Cette part est en forte augmentation, ce chiffre était de 50 % en 2005 et seulement 12 % en 1998 !

Pour comparer, la part des non résidents est quasiment nulle pour le Japon, de 25 % pour les Etats-Unis (en 2007). Soit dit en passant, quand on entend souvent dire que la Chine finance la dette des Etats-Unis, c’est largement exagéré : les non-résidents représentent un quart des détenteurs, et parmi eux la Chine arrive en tête avec un quart de cette part, soit au total (un quart de un quart) soit un peu plus de 6 %. Remettons les choses en place, l’économie américaine peut absorber les trois quart de la dette publique et la Chine représente un poids certes important mais tout de même pas vital.

Pour la France la part des non-résidents s’élève aux deux tiers ce qui, pour le coup nous rend très dépendant des investisseurs étrangers.

Alors bien sûr, jusqu’ici tout va bien et nos émissions obligataires sont largement souscrites. Mais si une défiance envers la signature de la France venait à apparaitre, cela nous mettrait immédiatement en situation de faillite puisque notre économie ne pourrait pas suppléer d’un coup à ces investisseurs étrangers. Il y a donc ici une fragilité très grande qu’il faut prendre en compte, au-delà du montant de la dette.

Le second risque, lié à celui que nous venons de voir, concerne notre notation. Triple A actuellement, c’est la meilleure possible, très bien. Mais son importance est cruciale car il faut savoir que la plupart des banques centrales et des fonds de pension dans le monde ont l’obligation statutaire de placer leurs fonds dans des placements notés AAA. Hors, nous venons de le voir, nous dépendons beaucoup d’investisseurs étrangers, qui n’hésiteront pas à nous rayer de leurs listes en cas de rétrogradation, alors que les institutions financières nationales peuvent subir d’amicales pressions du pouvoir…

Et les déficits de la France inquiètent les agences de notation… Dernière en date, l’agence Fitch a déclaré le 10 novembre : «Nous avons des craintes au sujet de la France. Nous voyons une détérioration sensible des déficits fiscaux en France, une certaine pression commence à s'y faire sentir».

A partir de là, quel serait le scénario envisageable d’une remise en cause de notre AAA ? Certains d’entre vous ont certainement lu « Le jour où la France a fait faillite » de Philippe Jaffré et Philippe Riès, paru en 2006. Dans cette fiction, ou ce roman d’anticipation, la note de la France est progressivement dégradée, jusqu’à un niveau qui déclenche la rupture de confiance des investisseurs dans le monde.

Avec ce scénario, au moins a-t-on le temps de réagir et de mettre en place des réponses politiques et économiques. Mais je ne crois pas que cela va se passer de cette façon, il suffit de voir l’affaire de la faillite de Dubaï. Car un enseignement à bien noter concernant la faillite de Dubaï c’est que les agences de notation sont les dernières à réagir, alors que leur métier consiste plutôt à anticiper les problèmes de solvabilité ! C’est comme pour les Subprimes qui étaient notées AAA jusqu’à ce que tout le monde se rende compte que ça ne valait plus grand-chose.

Il se passera la même chose pour la dette de la France, du Royaume-Uni ou d’un autre grand pays. Aucune agence n’osera prendre les devants même si elle a toutes les informations en main, c’est politiquement trop chaud (et, selon une source perso, les agences de notation sont largement noyautées par d’anciens salariés des banques centrales…). Les agences de notation attendront l’incident de paiement pour rétrograder la note, et nous serons mis devant le fait accompli. C’est aussi un risque important à prendre en compte.


2) L’autre dette

Je dirai un mot sur l’autre dette, car la dette publique c’est essentiellement celle de l’Etat, mais aussi celle des collectivités locales, et des organismes sociaux.

Concernant la CADES je signale un fait qui me semble hallucinant, puisqu’elle emprunte, pour un cinquième de sa dette, en dollars ! Pourquoi la CADES ne s’endette-t-elle pas uniquement en euros (comme l’AFT qui gère la dette de l’Etat) ? Certes ces emprunts en devises sont couverts contre le risque de change sur toute la durée par un swap, mais toute couverture à un coût. Maintenant l’avantage est évident, un emprunt en dollars émanant d’une structure notée AAA se place sans difficulté auprès d’investisseurs américains. L’opération possède certainement sa rationalité, mais à l’heure où tout le monde se plaint de l'hégémonie du dollar et où, en Europe, on cherche à contrebalancer cette influence avec l’euro, on ne manque pas d’être étonné de voir un organisme public français contribuer à la prépondérance de la monnaie américaine.

Deuxième remarque, dans l’indifférence générale, l’Unedic vient d’emprunter, et pas qu’un peu, 4 milliards d’euros. On reste confondu par la légèreté du directeur général de l’Unedic, Jean-Luc Berard, qui affirme : «les difficultés financières de l'Assurance chômage, essentiellement conjoncturelles, devraient se résorber avec la reprise économique», comme si de rien n’était ! Hormis le fait que le retour rapide à la croissance d’avant la crise est très optimiste, de toute façon il faudra rembourser cet emprunt, ce qui ponctionnera les cotisations chômages futures.


3) Les fausses solutions

Face à cette dette et à son emballement, il y a plusieurs fausses solutions à écarter.

La première est la distinction déficit structurel/déficit conjoncturel. Le ministère des finances divise le déficit prévu en 2010 en un «déficit structurel» de 45 milliards d’euros et un «déficit de crise» de 96 milliards d’euros (57 milliards de baisse des recettes fiscales + 39 milliards du plan de relance). Sous entendu, lorsque la reprise sera revenue, ce déficit de crise s’évanouira comme par enchantement.

Mais la distinction est spécieuse et induit en erreur. Le «déficit structurel» n’est lui-même qu’un déficit conjoncturel qui dure, concrètement depuis le premier choc pétrolier et le budget 1975 présenté alors pour la première fois en déficit.

La crise déclenchée le 15 septembre 2008 ne va pas s’effacer de sitôt, les prévisions de croissance prévoient de timides 1-2 % de croissance ce qui veut dire ipso facto qu’une partie de ce que le gouvernement nomme le déficit de crise ou conjoncturel va devenir structurel…Et mécaniquement, le poste « service de la dette » va augmenter, ce qui accroîtra la force d’inertie du déficit.

Une autre fausse solution, qui confine l’imposture, est la notion d’actifs publics dont le montant serait, selon l’Insee, supérieur à la dette publique, c’est formidable on peut encore s’endetter ! Mais quels sont-ils ces actifs publics ? Citons l’Insee : « Il s’agit essentiellement de bâtiments non résidentiels (bureaux, écoles, hôpitaux...), d’ouvrages de travaux publics (routes...) et surtout de leurs terrains sous-jacents. Ce patrimoine non financier est principalement détenu par les administrations publiques locales en conséquence de la politique de décentralisation engagée à partir de 1982.»

Bien, mais la dette, c’est surtout celle de l’Etat, les collectivités locales étant, pour le moment relativement peu endettées. Hors ces actifs appartiennent aux collectivités locales ! S’il voulait «réaliser» ces actifs pour payer sa dette, l’Etat devrait donc (par une loi qui serait à la limite d’un coup d’état) commencer par dépouiller les communes, départements et régions de leurs écoles, collèges et lycées, infrastructures routières, hôpitaux etc, pour ensuite les vendre à des investisseurs et des fonds de placements. Et ainsi l’éducation nationale et l’hôpital devraient payer un loyer aux nouveaux acquéreurs pour continuer de fonctionner, certaines routes départementales et des ponts deviendraient payants, etc. Les Français deviendraient des locataires de leur propre pays ! Et ils paieraient deux fois les mêmes équipements, par leurs impôts puis par des redevances ou des impôts supplémentaires.

Il s’agit là d’une arnaque, disons le clairement. Les seuls actifs publics à considérer sont les parts détenues dans les sociétés publiques et privées, qui peuvent être cédées sur le marché, et leur montant est faible par rapport à la dette. La valeur de portefeuille des participations cotées de l’Etat s’élève à 103 milliards d’euros (rapport du sénateur Jean-Pierre Fourcade du 19 novembre 2009).

Troisième mauvaise réponse, le Grand emprunt. Sous un emballage séduisant où l’on annonce investir dans la recherche, l’innovation, les nouvelles énergies, etc, on s’aperçoit que les 35 milliards d’investissement vont passer par la tuyauterie déjà largement percée et inefficace d’organismes publics existants comme l’ANR (Agence nationale de la recherche), ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), Oséo (aide aux PME), Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). On déplore l’absence de tout dispositif fiscal ou réglementaire pour encourager l’initiative privée.

En fait on constate que, hormis les 10 milliards pour les campus, ce sont dans tous les cas des dépenses à coup de 1 à 2 milliards par ci ou par là (biotechnologies, nucléaire, aérospatial, transport collectif, isolation, véhicules électriques, etc) qui auraient pu être réalisées dans le cadre du budget normal de l’Etat, si celui-ci avait engagé un programme d’économie ! Le Grand emprunt traduit surtout l’incapacité de l’Etat à se réformer.

Il y a, dans le rapport, il faut le noter, de la poudre aux yeux puisqu’on veut nous faire croire à la rentabilité économique de ces dépenses. Le rapport affirme : « Les dépenses d’investissement retenues par la Commission donnent lieu à la constitution d’actifs à hauteur de près de 60 %. Les autres dépenses sont accompagnées d’une exigence de retour. » (pages 15, 25). Mais lorsque l’on regarde ce « retour » dans le détail de chaque projet, on a le plus souvent ces phrases : « La rentabilité de cet investissement est d’ordre socio-économique » ou aussi « en cas de succès économique »… Interdit de rire. Le seul organisme public important qui prend des participations, le FSI (Fonds stratégique d’investissement), ne sera doté que d’un milliard d’euros ! Mais il faut bien vendre le Grand emprunt aux députés et à l’opinion.


4) A quand le krach ?

La question que l’on peut se poser maintenant c’est quand le krach de la dette va-t-il se produire ?

Eh bien en fait on ne peut pas savoir, et quand on saura il sera trop tard !

On ne peut pas savoir parce que cela dépend de la confiance des investisseurs internationaux, c'est-à-dire de quelque chose d’insaisissable. Il peut arriver qu’un beau jour une tranche d’emprunt ne soit pas souscrite à 100 % - ce qui en soi n’est pas catastrophique - mais une défiance généralisée se propagera et le risque associé à la dette de la France explosera. Cela conduira, on l’a vu, les agences de notation à nous faire perdre notre AAA, ce qui nous amènera très vite à l’insolvabilité, du fait que les deux tiers de notre dette sont placés à l’étranger, et donc que notre économie ne peut pas compenser. La fragilité de notre situation nous explosera alors à la figure.

Ce n’est pas de la science-fiction, la presse s’est fait récemment l’écho d’un rapport de la Société Générale envisageant, comme scénario possible, une crise de surendettement des Etats dans une économie anémiée, déclenchant un « effondrement global ». Il faut donc agir rapidement.


5) Les perspectives

Quelles solutions peut-on envisager ?

Il faut réduire la dette et cela passe par la réduction du déficit budgétaire, sans oublier celui de la Sécurité sociale.

Cela passe notamment par le renforcement du rôle du Parlement.

Quelles actions concrètes les députés pourraient-ils entreprendre ? Je ne parle pas des mesures d’économie proprement dites, la liste serait longue, et ce n’est pas le sujet, mais du rôle du Parlement face à la dette publique.

Le Parlement peut indiquer une direction, fixer un objectif. On connait l’exemple de l’Allemagne : à partir de 2016, le déficit du gouvernement fédéral ne pourra pas dépasser 0,35% du PIB, et à partir de 2020, les déficits dans les Länder seront proscrits. C’est un objectif ambitieux mais il a été soutenu à la fois par la CDU et le SPD, alors pourquoi pas en France, rêvons un peu !

On en a parlé au début, le fait que les deux tiers de la dette sont détenus par des non-résidents. Mais il faut signaler que l’on n’a aucune information supplémentaire. Pour le tiers détenu par les résidents, on connaît la répartition entre les OPCVM, les établissements de crédits, etc. Pour les deux tiers détenus par les non-résidents on n’a aucune information, on ignore quels sont les principaux pays détenteurs ou les types d’institutions financières. Cette information est par exemple tout à fait publique aux Etats-Unis. Une action que pourrait entreprendre les députés consisterait à interroger à ce sujet le ministère des finances ou le directeur général de l’AFT (Agence France Trésor). Le simple fait que cette information soit cachée pose problème et empêche d’y voir plus clair.

On a parlé du Grand emprunt qui, soi disant, donnera lieu à la constitution d’actifs à hauteur de près de 60 %. Sur cet élément, fondamental pour la logique du dispositif, il faut demander des éléments précis et chiffrés (voir ce que ça a donné avec l’Oséo, études statistiques, etc) afin de démonter cet effet d’annonce et de le remettre en cause de l’intérieur le Grand emprunt (c’est la faille du rapport).

Il faudrait aussi mettre son nez dans la gestion de la dette sociale dont la Cour des comptes a récemment critiqué la gestion. Ainsi la dette de la Sécurité sociale est gérée par trois organismes, la CADES, mais aussi par l’ACOSS et le FFIPSA ! La CADES, on l’a vu, s’endette pour un cinquième en dollars, une décision hallucinante. Par ailleurs l’Unedic vient de lever 4 milliards dans l’indifférence générale, alors que cela devrait être interdit par principe, on va faire payer nos allocations chômage par nos enfants ! On leur fait déjà payer notre santé avec la dette de la Sécu, ça continue !

Il faut plus fondamentalement renforcer le contrôle du Parlement sur la dépense publique. Je me rappelle d’une initiative du député Jean-Michel Fourgous visant à permettre aux députés de pouvoir auditer les comptes dans les ministères, il l’a présenté à plusieurs reprises et l’exécutif l’a toujours repoussée. Il serait peut être temps de remettre sur le tapis une telle initiative, et d’invoquer l’urgence nationale face à la dette pour que le gouvernement s’y associe, ce serait un pas important.


Philippe Herlin
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