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La postérité de Benoît Mandelbrot La Tribune du 20/10/2010 « Trente ans après ma mort, je me retirerai, fortune faite » disait Jean Cocteau. Heureusement Benoît Mandelbrot n'aura pas attendu aussi longtemps, il a connu la fortune – critique, scientifique – de son vivant. Sa grande découverte, la géométrie fractale, a suscité quelques résistances au début, avant de connaître un engouement international, parmi les mathématiciens bien sûr, mais surtout dans les sciences appliquées comme la biologie (structure des poumons, rythme cardiaque), la botanique (croissance des plantes), la géologie (répartition et taille des gisements pétroliers), l'astronomie (distribution des galaxies dans l'univers), jusqu'aux images de synthèse des jeux vidéos et au cinéma. Derrière le chaos apparent des choses se cachent des formes invariantes, les repérer permet de mieux comprendre les phénomènes et leur dynamique. Il est tout de même un domaine dans lequel Benoît Mandelbrot devra certainement attendre trente ans après sa mort, et peut être plus, c'est la finance. Alors qu'il travaille au centre de recherche d'IBM aux Etats-Unis, il suit avec intérêt la naissance de la théorie moderne de la finance à l'université de Chicago (Markowitz, Sharpe, Fama, etc). Mais dès le début, dans les années 60, il dénonce l'utilisation de la courbe de Gauss pour estimer les variations de prix des actifs financiers. Celle-ci accorde une faible probabilité aux événements extrêmes alors qu'ils sont, mesures à l'appui, très répandus sur les marchés financiers. Une critique qui s'accompagne d'une remise en cause de la notion d'efficience des marchés, à la base de cette théorie et du fameux Capital Asset Princing Model (CAPM) ou du modèle de Black et Scholes. Mais intégrer ces arguments obligerait à changer complètement de paradigme, sans avoir l'assurance de retrouver un modèle aussi simple et pratique… On préféra ne pas écouter Mandelbrot. Cette sous-estimation systématique du risque entraîne des crises à répétition, le krach d'octobre 1987 fut un avertissement sans frais, la faillite du fonds LTCM en 1998 (où travaillaient Scholes et Merton, deux Prix Nobel d'économie) ne réveilla pas les consciences, la bulle Internet en 2000 fut vite oubliée. La crise de septembre 2008 par contre, du fait de sa gravité, provoqua un réel regain d'intérêt pour les travaux de Mandelbrot, auquel participa le livre au succès planétaire (2,5 millions d'exemplaires) de l'un de ses élèves, Le Cygne noir de Nassim Nicholas Taleb. Enfin, pouvait-on l'espérer, la communauté financière allait-elle se poser des questions de fond sur ses modèles de marché et leurs fondements théoriques ? Malheureusement, après le sauvetage des banques, c'est plutôt le « business as usual » qui est revenu en force. Jusqu'à la prochaine crise… Toujours actif, donnant des interviews ça et là, s'informant des applications multiples auxquelles donnait lieu ses découvertes, l'œil avisé sur les soubresauts des marchés financiers, Mandelbrot se consacrait à la rédaction de ses mémoires. On espère que le vieux sage aura pu coucher par écrit toutes ses réflexions. Sa disparition provoquera-t-elle une prise de conscience ? Il serait temps de prendre ses travaux au sérieux, mais il reste encore persona non grata dans l'enseignement académique. On attend avec impatience le premier département de finance d'une université de par le monde qui programmera un colloque d'hommage à Mandelbrot… Non c'est de l'humour, noir. Philippe Herlin |